André Billy


ANDRÉ BILLY
BARBIZON, tout le monde descend!
Quel voyage ! D’abord, trois quarts d’heure de la gare de Lyon à Melun, puis trois autres quart d’heure de Melun à Barbizon, dans un tortillard famélique qui souffle et peine comme un vieillard catarrheux. Enfin, tout arrive, même les voyageurs, et me voici au cœur de la province, à cinq cents ou mille kilomètres de Paris. J’avise aussitôt un indigène, tout de noir vêtu, replet, sympathique, et dont la bonne figure ronde, égayée de lunettes d’écaillé, ajoute à l’air franchement ecclésiastique du personnage.
« Le pasteur de Barbizon », me dis-je, et je demande :
— La villa « la Chevrette », s’il vous plaît ?
— Ah ! oui. M. André Billy, me répond le saint homme. A deux pas. Je vous conduis.
Le temps de m’excuser, de remercier, et nous sommes déjà devant une charmante maisonnette toute blanche aux volets vert foncé. Et voici qu’à ma surprise mon cicerone pousse le portail du jardin et, souriant :
— Entrez donc, je vous prie.
C’est André Billy en personne ! Il s’amuse fort de sa petite plaisanterie et moi j’en suis ravi. Voilà qui est cordial et qui me met à l’aise. J’aime ça.
— C’est moi-même, me dit l’auteur de la Femme maquillée, qui ai dessiné le plan de ma maison, et jusqu’à la girouette que vous voyez sur le toit, et qui représente une chevrette. J’ai ainsi reconstitué, pièce par pièce, et aux dimensions exactes, mon ancien appartement de Paris, de telle sorte que tous mes meubles se sont retrouvés là-dedans comme chez eux.
Esprit constructif et ingéniosité de romancier. Rien de plus logique. Nous entrons. C’est confortable, coquet. Aux murs, quelques « Marie Laurencin », Mais ce qui domine, on s’en doute, ce sont les bibliothèques, littéralement bon.
Idées de livres.
— J’ai près de 15.000 volumes, me confie André Billy. Pensez donc, vingt-sept ans de critique ! J’en ai reçu des « hommages »
Cela nous reporte en 1909. A cette époque, André Billy avait déjà publié deux romans. En 1911, à la fondation de Paris Midi, il tient le courrier littéraire, et donne le compte rendu d’un livre par jour.
En 1912, il fonde les Soirées de Paris, arec Apollinaire, puis « sort » cette série de romans remarqués qui va des Scènes de la vie littéraire, en 1919, jusqu’à Quel homme es-tu ? qui vient de paraître.
— Avez-vous connu le curieux personnage de votre dernier, livre ?
— Pas personnellement. Mais bien des gens m’en ont signalé l’existence, et le type est, paraît-il, assez courant. Il s’agit en l’occurrence d’un cas de timidité amoureuse. Mon héros idéalise à ce point les femmes que, le moment venu de faire intervenir ses sens, il demeure. Comme un coffre, dans un état de suave et redoutable insuffisance.
Bigre ! Voilà qui doit être plutôt vexant : comme dirait le philosophe « Méfions-nous de l’idéalisme. »
— Ainsi que pour mes précédents romans, poursuit André Billy, la critique, avec ensemble. étonnant, emploie à mon endroit les termes de « rationaliste », de « pur cartésien ». Est-ce un reproche ? Il est vrai que je suis pour le style invisible et la psychologie claire.
Serait-ce une tare d’être clair ?
Et le critique va-t-il critiquer la critique ? Ce serait assez piquant. Mais il n’est point besoin de poser à André Billy la question : « Quel homme es-tu ? » C’est un homme aussi fin que circonspect.
— En réalité, ajoute-t-il, je suis de goût classique. J’ai reçu une formation jésuitique qui, à l’époque où elle me fut donnée, n’avait guère changé depuis le XVIIe siècle. Je suis en train d’ailleurs d’écrire un livre sur les Jésuites, livre dans lequel j’essaierai, bien entende, de me placer à leur point de vue.
La maison visitée, le porto et le petit four de l’hospitalité savourés, André Billy m’entraîne dans son jardin, et là exalte avec passion le calme, la verdure et les petits oiseaux. cependant que l’heure de mon train approche. Nous gagnons la gare et, Comme je fais allusion à la longueur du trajet :
— C’est excellent, m’assure le sage Barbizonnais. Tous les critiques devraient habiter la banlieue pour avoir le temps de lire. et de méditer.
Le petit train siffle et démarre dans un long gémissement, de tous ses essieux.
André Billy agite son mouchoir ; j’agite le mien.
Adieu Barbizon !

  • A. Z.

extrait

Titre : Marianne : grand hebdomadaire littéraire illustré
Éditeur : s.n.
Date d’édition : 1936-01-29


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