L’affaire Trosky


Le séjour de Trotsky à Barbizon. 

La découverte de la retraite de  Trotsky  dans une villa de Barbizon, a provoqué hier, une vive émotion. Et les moins étonnés ne furent pas les propriétaires de la villa, M. et Mme Lamotte, lorsqu’ils apprirent que leur locataire, le discret Sodrov, n’était autre que le fameux agitateur russe. Seule la Sureté générale ne semble pas surprise si nous en croyons les déclarations faites hier à l’’un de nos confrères par M. Berthoin : 

– Pour nous cette découverte n’en est pas une. Lors de son séjour en Corse, l’ancien chef de l’armée rouge recevait de telles lettres de menaces qu’il implora – c’est le mot-, de venir se fixer en France. Pour des raisons que j’ignore, il élit domicile à Royan. Mais sa présence ayant été révélée aux touristes, il fut de nouveau l’objet de lettres anonymes le menaçant de représailles sur sa famille ou ces collaborateurs s’il s’obstinait à rester dans la région. 

Alerté à nouveau, le ministère de l’intérieur, après enquête, lui assigna comme nouveau lieu de résidence le département de seine et marne. 

En possession de cette autorisation, Trotsky  sollicite, pour échapper aux persécutions de ses ennemis, le droit de porter le nom de l’un de ces collaborateurs. Là encore il obtint satisfaction. 

Inutile de vous dire que les agissements de Trotsky et de ces collaborateurs étaient étroitement surveillés. Quant à l’existence d’une imprimerie clandestine, je la nie, car on n’a pas trouvé sa trace. La perquisition entreprise à la suite de la visite du parquet de Melun n’a révélé aucune irrégularité ; par conséquent ; c’est sur le compte de l’imagination populaire qu’il faut mettre toutes ls histoires qu’on colporte ou colportera sur les hôtes de la villa « Ker Monique ». 

Ajoutons que l’autorisation accordée à Trotsky remonte à décembre 1933 et que le ministre de l’intérieur était alors M. Camille Chautemps. 

Article paru dans Le Temps du 17 avril 1934. 

Le mystérieux séjour de Trotsky à Barbizon. 

L’ex-généralissime de l’armée rouge est installé depuis fin août dans la villa « Ker Monique » avec deux secrétaires, sa femme, deux domestiques et un motocycliste « de liaison ». 

Aux enquêteurs qui se sont présentes il a produit –dit-on- une pièce l’autorisant à résider en seine et marne. 

Barbizon 15 avril 

De notre envoyé spécial. 

Selon une forte expression qui lui appartient en propre, Trotsky n’est jamais « tombé dans la corbeille à papiers de l’histoire ». Si la plupart de ceux qui participèrent à la révolution d’octobre sont aujourd’hui, évadés des mémoires, le nom de l’ancien ministre de la guerre et commandant en chef des troupes bolcheviques demeure très vivant dans bien des esprits. Et la présence – soudainement apprise- de l’ex créateur de l’armée rouge à une quarantaine de kilomètres de  
Paris, dans le site idyllique et forestier de Barbizon a surpris et ému. 

Non qu’elle fut ignorée dans les ministères officiels. La chose même apparaîtrait invraisemblable, et il n’est point admis d’en formuler seulement l’hypothèse. Au reste, celui qui a dit de lui-même : « Je suis un vieux conspirateur ». Résidait à Barbizon depuis fin août ; en novembre, le maire de la charmante localité, M. Berger, avait signalé au parquet la présence de l’ex généralissime. 

Mais le public ne savait pas… Et il faut reconnaître que la situation même de la villa choisie par Trotsky, son isolement et le genre de vie de ses occupants favorisaient amplement le secret… 

Le secret de la villa Ker Monique, a-t-on dit en soulignant les mystérieuses caractéristiques entourant le séjour de Trotsky… 

On le croyait en Corse, où il avait été autorisé à séjourné par le gouvernement français ; on le découvre à Barbizon. Lui qui, débile et fatigué, vécut des heures ensoleillées naguère au bord de la mer Noire, a-t-il éprouvé les parfums forestiers ? On ne sait. Toujours est-il que fin août le directeur d’une agence de location de Barbizon, M. Closel, vit arriver deux hommes dont l’un parlait, dit-il, avec une autorité extrême. Il dit s’appeler M. Moulinet et se déclara prêt à louer une villa. 

C’est très urgent, dit-il. Je la veux isolée et spacieuse… Je la prendrai pour six mois. 

M. Closel disposait de Ker Monique qui appartient à M. Lamotte, M. Moulinet la vit et sans hésiter, dit : 

  • Je la prends. 

Elle fut louée pour six mois, moyennant 5.000 francs, location qui a été récemment renouveler. La somme fut payée rubis sur l’ongle. Et le nouvel hôte de la villa, dont d’ailleurs la brusquerie, la décision tranchante et l’autorité ne plaisait guerre à M. Closel s’installa à Ker Monique. 

Ker Monique est située à la sortie de Barbizon ; Après l’hôtel de la Foret en venant de  
Paris, vous tournez à gauche et prenez la route du bornage ; là à deux cents mètres environ, en direction de la route nationale n°7, au coin de la route du bas-bréau, au lieu-dit carrefour de Lepine, on aperçoit Ker Monique… On l’aperçoit d’ailleurs à peine car la villa se dresse au bout d’une allée bordée d’arbres ; un mur de pierre limite la façade à un mettre environ de hauteur, surmonté d’une garniture de bois… A droite à gauche, derrière, des treillages de fer ou de bois…. Au loin, à gauche, des terrains inoccupés. 

De la villa la plus voisine, la villa Siegfried, on peut jeter quelques coups d’œil dans le jardin de Ker Monique, mais non sans difficulté… Donc parfait isolement… L’hiver, en particulier, et dès la tombée de la nuit, rarissimes sont ceux qui se hasardent sur la route du bornage. 

Or les habitants de Ker Monique se montraient précisément si peu qu’ils finirent par intriguer… Le blanchisseur remettait le linge à une domestique à peine entrevue, dans les communs, par derrière, et disparaissait… 

On murmurait qu’il y avait dans la villa étrange, outre le locataire principal « M. Moulinet », sa femme, deux bonnes allemandes, deux secrétaires, dont un allemand et un polonais, et un motocycliste « de liaison ». 
Ce n’était pas l’intuition seule qui avait conclu l’opinion barbizonnaise à imaginer tant de présence… Outre des silhouettes entrevues, on avait su combien de biftecks ou combien de côtelettes le boucher livrait à Ker Monique…. Et si la précision alimentaire ainsi connu ne donnait pas une certitude mathématique, elle permettait un ingénieux recoupement. 

Nul ne s’était hasardé à pénétrer dans la villa ; des chiens aux aboiements et aux statures redoutables veillaient… Au reste ces animaux – ou domestiques en la circonstance – se faisaient si désagréablement entendre pendant toute la nuit que les occupants de la villa Sigfreid, dont le sommeil était profondément troublé, se plaignirent par téléphone à Ker Monique. Pour toute réponse on raccrocha. 

Jamais de lettre pour Ker Monique. Du moins par la poste. Mais chaque soir motocycliste arrivait à la villa portant, à l’avant de sa machine, une sacoche, qui devait contenir le courrier journalier. Les habitants de la villa paraissaient vivier largement. Aucun fournisseur n’était impayé. Des billets de 1.000 francs étaient fréquemment changes chez les fournisseurs par les deux jeunes gens qui faisaient les commissions indispensables. Dans la population, les commentaires allaient leur train ; on parlait, bien entendu, d’espionnage, de trafic étrange, de commerce interdit… 

 Or, jeudi soir, le gendarme Bordeaux, de la brigade de Ponthierry, revenait de Fontainebleau, où il avait assisté à un cours de préparation militaire. Au bas de la cote de Pringy, il remarqua une motocyclette qui n’était pas éclairée. Le gendarme s’approcha et questionna un homme qui se trouvait à proximité ; 

C’est à vous cette motocyclette ? 

Non, répondit l’inconnu. 

M. Bordeaux conduisit alors la moto au poste de gendarmerie en invitant l’inconnu à le suivre. 

Là, le chef de la brigade Quintard examina le contenue de la sacoche et s’aperçut qu’il s’agissait du mystérieux courrier de Barbizon. L’homme, qui refusait de donner son identité, fut gardé à vue à la gendarmerie, tandis que le chef de brigade alertait le parquet de Melun et la sûreté générale de la prise qu’il venait de faire. 

Dans le plus le grand secret, une expédition fut décidée. Tout d’abord, dès le vendredi matin, la gendarmerie reçut l’ordre de surveiller les abords de la villa  Ker Monique. La surveillance fut, dans la nuit de vendredi à samedi, renforcée par des éléments de  gardes mobiles. 

Samedi matin, le parquet de Melun ; MM. Cerede, procureur de la République ; Lévy, juge d’instruction, et Chauvelot, greffier, se présenta à la Villa Ker Monique. Il fallut parlementer longuement pour que la porte s’ouvrit. Tout d’abord, une domestique allemande vint s’enquérir de leur désir, puis alla prévenir sa patronne. Celle-ci, après maints refus, céda à la réquisition, qui lui était faite sur la vue de la qualité des visiteurs. 

Les magistrats, accompagnés d’inspecteurs de la sureté générale, pourtournant alors dans la mystérieuse villa. Au rez de chaussée, le couvert se trouvait mis dans la salle à manger. Le propriétaire se tenait dans son bureau au premier étage. Il était assis à sa table de travail et avait, à porter de sa main, à droite et à gauche, deux revolvers. 

Nous venons, dit le procureur, vous interroger au sujet du vol d’une motocyclette. Veuillez me donner votre nom. 

Je m’appelle Sodroff. 

Mais, dit M. Cerene qui venait brusquement de reconnaître son interlocuteur, vous êtes M. Trotsky ? 

Eh Bien ! oui c’est moi que voulez-vous ? 

Trotsky présenta une pièce parfaitement en règle délivrer par le ministère de l’intérieur au mois de décembre 1933 et l’autorisant à séjourner en seine et marne. 

-Je suis venu ici, ajouta Trotsky, pour dépister les russes blancs qui ne me manqueraient pas. 

Par la suite, Trotsky indiqua ; 

Je suis un vieux conspirateur. Je prépare la IV° internationale. 

Le parquet de Melun, vu la régularité des pièces qui lui avaient été présentées ne put que se retirer. Aucune perquisition ne fut effectuée. 

Bien entendu, la visite des magistrats n’avait pu qu’augmenter l’émotion générale et, dans l’après-midi de dimanche, nombreux furent les promeneurs qui vinrent « croiser » autour de la villa. 

Personnellement j’ai sonné au portail en bois tout au début de l’après-midi, De la route, rien ne retentit. Longue Attente. Sur le portail, qui est cadenasse, une plaque porte l’inscription « chien méchant ». Au cas, où, d’ailleurs, cet avertissement ne suffirait pas, les chiens dès que le coup de sonnette été donné, se chargent de mettre le visiteur en garde par de long aboiements. 

Au bout de cinq minutes est arrivé d’un pas rapide un jeune homme à qui je n’ai pas caché qu’il me serait agréable de voir M. Trotsky et de lui parler. . Avec un accent assez marqué, ce jeune homme, qui, m’a-t-on dit est allemand et qui portait, non sans quelque élégance, un pull-over gris sur sa chemise très bleue, m’a opposé un refus courtois, mais catégorique et repente. A noter que jamais il n’a prononcé le nom de Trotsky. 

On ne peut pas vous recevoir, m’a-t-il dit. On ne fera dans aucun cas de déclaration à la presse. Il n’y aura ni réceptionné déclaration. 

En vain ai-je fait observer, à cet émissaire, qui visiblement, tentait de dissimuler son impatience, que M. Trotsky pourrait fournir d’utiles explications, donner la raison de la présence de deux revolvers sur son bureau, exposer pour quels motifs, étant en situation régulière, parait-il, il se cloître. Rien n’y fit. 

Même Si vous me remettez votre carte, me dit le jeune homme en question, je vous la rapporterai… On refusera. 

Une enquête dans Barbizon, qui m’a amené successivement chez M. Closel, ce dernier tient un café situé derrière Ker Monique, chez un plombier qui fit des réparations dans la villa, me confirma l’étrangeté d’existence des hôtes de Ker Monique. 

Les uns et les autres ont vu plusieurs personnes, ont remarqué un va-et-vient d’auto, toujours pendant la nuit. A ce propos, remarquons qu’une automobile que l’on voit sur la route de bornage, une Renault noire et rouge, sert aux déplacements nocturnes des habitants de Ker Monique. 

Le plombier ayant été appelle à effectuer des réparations dans une salle de bains de la villa a cru apercevoir du matériel d’imprimerie et des appareils de T.S.F. une femme qu’il croit être Mme Trotsky  lui a un  jour barre l’entrée d’une pièce où il allait pénétrer en lui interdisant d’aller plus avant. E enfin, avec un de ses compagnons, ayant à travailler dans la cave de la villa, il y fut enfermé par les soins des locataires de la villa et seulement délivre quand le travail fut dûment achevé. 

Quant aux Dames Neuburger qui, ainsi que je l’ai dit, habitent la villa Siegfried, elles croient avoir aperçu l’exilé de Staline. 

J’ai vu, m’a dit l’une d’elle, un homme qui se promenait seul et qui avait l’air de méditer. 

Il portait un grand col de fourrure relevé très haut et une pèlerine violette, une sorte de pèlerine d’évêque… 

A Melun, en regagnant Paris, j’ai joint par téléphone le procureur de la Raphaélique, qui a déclaré : 

Je me suis impose une consigne de silence. N’allez pas en déduire que cette « affaire » soit affolante ou mystérieuse. Mais, en tout état de cause. Mon devoir est de me taire, et rien ne me fera sortir du silence. 

Le préfet de sein est marne était absent et son chef de cabinet, qui fit à la préfecture, en fin d’après-midi, une brève apparition, priait de s’adresser au procureur de la République. 

Si, comme on l’a laissé entendre de divers côtés, il aurait été « conseillé` » à  Trotsky de regagner la Corse. Il apparaît néanmoins que l’un des principaux acteurs des « dix jours qui ébranlèrent le monde » est discrètement autorisé à prolonger son séjour en seine et marne. 

L’homme d’octobre, de Brest-Litovsk, celui que d’aucuns ont appelé « le plus remarquable metteur en scène » de la révolution villégiature à Barbizon. 

C’est là l’une des étapes d’un destin, qui sans conteste, est hors-série… 

                             Article paru dans Le petit Parisien du 16 avril 1934


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